Après La malédiction de l'Hôtel-Dieu pur polar lyonnais, nous avons choisi de publier Les Motel pur polar malouin. Une histoire de fou (ou de flou) baignant dans l'alcool et les à peu près. En voici l'intrigue : Hélène et Yvon Motel font l'acquisition (pour des nèfles) d'une maison gigantesque, à Rothéneuf (Saint-Malo). Hélène Motel est auteure d'histoires, Yvon Motel est plasticien, et plus précisément «encreur», claustrophobe, déprimé. Très vite, l'idée que cette maison soit déjà « habitée » s'impose à leur esprit, même s'ils ne peuvent concevoir une telle hantise que sous l'aspect de la farce. Mais à un point tel que le plasticien devra rapidement convenir qu'il débloque à plein tube, mais surtout qu'il n'y peut plus rien (ou grand-chose). Il tente néanmoins de se soigner, (à l'alcool), un soir de vernissages, d'hallucinations diversement corsées. Riboule dingue dont il émerge, amnésique, au volant d'une voiture qu'il a innocemment «empruntée» dans la nuit. A ses côtés le cadavre assis d'une femme, ceinture de sécurité bouclée, cadavre qu'on ne retrouvera jamais, pour la simple raison qu'il n'existe pas plus que ne respire l'homme, un banquier véreux, découvert massacré dans la coffre du même véhicule. Et malheureusement pour Yvon Motel, son amnésie sera très provisoire... D'autres disparitions, d'autres errances... Une « happy end » inquiétante encore, autant que possible. Le roman se déroule sur une période très courte. Deux jours. Mais la fin (l'ouverture finale), nous fait faire un bond de huit ans jusqu'à notre tragique réalité.
Extrait du livre : A ses côtés, Marie Martin, verte aussi, inanimée de même. De ses cloisons nasales défoncées partaient des larmes de sang séché, une de ses pommettes était meurtrie, son torse était accroché à sa ceinture de sécurité et son cou ne lui soutenait plus complètement la tête. Elle fixait Motel par en-dessous, ses yeux s’étaient vidés de toute couleur, ils prenaient indifféremment les variations de lumière du petit jour portuaire. Motel vomit sans chercher à sortir de la voiture, sur la boîte de vitesse, sans la quitter du regard, des larmes d’alcool brouillant l’image qu’il garderait d’elle. Il n’avait rien à vomir et il resta un moment, haletant, menton visqueux, avec cette sensation persistante de s’être sorti le plexus solaire par les narines. Il n’identifiait pas Marie Martin et même s’il s’était souvenu l’avoir rencontrée à deux reprises la veille, il ne l’eût probablement pas reconnue. Il vérifia encore que la carotide de la femme était hors service et ce fut heureux, car il eût probablement claqué de peur si le cœur de l’inconnue s’était mis à battre sous la pression des doigts poisseux de sa main valide. Le conducteur d’un engin géant agita malicieusement sa paluche ouverte autour de son poignet en l’apercevant sortir de la 306 et dégourdir ses quilles bourrées de fourmis. Le cariste entama sa manœuvre, secoué de rire, et s’engagea dans une travée pour accéder au quai. Motel avait le poing droit complètement foutu, il apercevait l’os blanc des phalanges fracturées, la froidure matinale lui en déchirait les chairs et il ne pouvait relâcher les tendons pour déplier les doigts. Stéphane Prat est né le 23 octobre 1965 à Saint-Servan-sur-mer. Romancier, nouvelliste, il a également publié de la poésie et plusieurs essais consacrés par exemple à Jack London ou au philosophe Clément Rosset. Il vend des livres sur les marchés malouins (parfois les siens).
Terminus Perrache, une enquête de Brice Noval par Jean-Jacques Nuel
Broché : 138 pages
Date de publication : avril 2019
ISBN-10 : 2956722328
ISBN-13 : 978-2956722328
Dimensions du livre : 14 x 0,8 x 21,6 cm
Prix : 11,90€
Après La malédiction de l'Hôtel-Dieu paru (récompensé par le Prix de la Sélyre en 2018)., on retrouve les mêmes personnages, le détective privé Brice Noval et son ami Laurent Thimonnier dans un nouveau roman, Terminus Perrache1, où il est question de terrorisme végane et de magouille politique. Noval contribuera à démanteler ce réseau terroriste dans cette nouvelle affaire qui tourne autour du sinistre centre d'échanges de Perrache. Au passage, les deux compères ne se privent pas d'égratigner le milieu littéraire lyonnais...
En voici deux extraits : Je connaissais Krupal depuis très longtemps (cela remontait à ma lointaine jeunesse) et le croisais de temps à autre dans les rues de Lyon. Cet aimable activiste de la poésie s'était engraissé sur l'argent public pendant trois décennies et sa silhouette rondelette n'avait plus rien à voir avec celle du jeune homme révolutionnaire adepte de Maïakovski qui voulait changer la vie par la littérature. Krupal organisait des événements littéraires, des rencontres, des lectures, des festivals pour lesquels il touchait des subsides de sa ville de banlieue. Il écrivait aussi de la poésie. Des recueils sans relief parus chez de petits éditeurs subventionnés. À l'instar de Patrick Bousard, il faisait partie de ces auteurs qui, sans avoir de véritable lectorat, sans autre public que celui de leurs propres relations, sans avoir écrit un seul livre qui sache plaire ou convaincre, réussissent toutefois à mener une sorte de carrière grâce à la reconnaissance des institutions. Bourses du Centre national du livre et du centre régional, résidences d'auteurs, lectures dans des bibliothèques, dans des établissements scolaires ou des festivals de poésie, interventions rétribuées dans des colloques ou des salons du livre – tout cela mis bout à bout lui procurait presque un revenu régulier, sans même avoir besoin d'animer des ateliers d'écriture comme sont contraints de le faire tant d'auteurs nécessiteux. Il vivait sur la bête depuis plus de trente ans, évoluant comme un poisson dans l'eau dans un système opaque et complexe fait d'un subtil tissu de relations, de carnet d'adresses, de renvois d'ascenseur et de cooptation. C'était tout un art – et son véritable mérite. Krupal se prenait pour un authentique écrivain, vivant dans l'illusion qu'il avait lui-même fabriquée et entretenue, mais il était surtout un petit malin sévissant dans le milieu de la culture, un as de la combine ; j'admirais sincèrement qu'il ait pu traverser l'existence sans avoir eu besoin de recourir au moindre travail salarié. Parfois j'imaginais qu'en pendant Rémi par les pieds, en lui donnant quelques tapes sur son gros bide et ses larges fesses, on le verrait régurgiter les centaines de milliers d'euros qu'il avait gobés dans sa vie de sympathique parasite... les pièces d'or tombant en rafales de sa bouche ouverte comme d'un bandit manchot du casino... mais il ne fallait pas rêver. Tout cet argent était digéré depuis longtemps. […] Laurent avait épluché la liste des subventions du centre régional du livre. Des chiffres en tous sens remplissaient les pages. – Depuis trois ans, m'annonça-t-il après avoir commandé nos bières, on constate un changement notable dans l'attribution des subventions. Je te fais grâce des petites associations qui se partagent les miettes. L'aide la plus importante (80.000 euros !) revient à En toutes lettres ; elle se taille la part du lion. Par contre, plus rien n'est versé à l'association Les mots dits, qui avait trusté les subsides pendant une demi-douzaine d'années. – Les maudits, drôle de nom, comme les poètes maudits ? – Non, en deux mots : mots et dits. Mais tu n'as peut-être pas complètement compris de travers. La référence aux poètes maudits est implicite, contenue dans l'homophonie. En tout cas, ils sont vraiment devenus maudits, puisqu'on leur a coupé les vivres ! Par principe, Laurent est opposé aux aides publiques en matière artistique et littéraire. Nous en avons discuté plusieurs fois et, comme sur bien d'autres sujets, sa position est tranchée. Pour lui, des structures comme le Centre national du livre ou les centres régionaux du livre ne servent à rien et ne devraient même pas exister. – Si une grande œuvre doit s'écrire, m'a-t-il expliqué un jour, elle s'écrira par nécessité intérieure et quelles que soient les difficultés matérielles de l'auteur. Ni Rimbaud ni Lautréamont n'ont sollicité l'argent public pour se consacrer à la littérature. – Certes, mais reconnais qu'une bourse de création peut aider un jeune écrivain à se consacrer à son œuvre, en abandonnant un métier alimentaire... – Aujourd'hui, tout auteur, même le plus médiocre, veut vivre de ses livres. Il considère cela comme un dû et désire mener une carrière. Mais la véritable création a peu de choses à voir avec le statut de l'auteur. Kafka, Pessoa – et quels génies !– ont très peu publié de leur vivant. Travaillant en secret, ils ont accumulé les œuvres qui les ont fait connaître après leur mort. – Je pense aussi à Emily Dickinson, ajoutai-je. Cette immense poétesse américaine, qui vivait recluse dans sa chambre la plupart du temps, n'a publié que six poèmes au cours de sa vie. – Voilà encore un bel exemple ! Loin de moi cependant l'idée que tout écrivain doive devenir un ascète et œuvrer dans l'anonymat et la misère. Qu'un auteur rencontre le succès et gagne bien sa vie, ça ne me choque pas. Mais il y a quelque chose de malsain dans l'association de l'art et de l'argent public, avait-il conclu. Je ne suis pas loin de penser comme lui. Très peu d'écrivains vivent de leur plume (ou de leur clavier) ; en général, ce sont des romanciers. Dans les genres non rentables, comme la poésie, la nouvelle, l'aphorisme ou le journal, les créateurs qui ne veulent pas exercer en parallèle un second métier alimentaire (comme professeur d'anglais, pour Mallarmé) sont obligés de se comporter en gigolos. Dans cette catégorie, vous trouvez le gigolo conjugal, qui vit aux crochets de madame qui travaille, le gigolo familial, qui vit aux crochets de sa famille aisée, et le gigolo social qui vit aux crochets de la société, en glanant les subsides des institutions culturelles, comme le centre régional du livre. Sans oublier le véritable gigolo en quête de vieilles rombières fortunées, le seul méritant à mes yeux, car c'est une compétition pour athlètes de haut niveau.
Jean-Jacques Nuel est né le 14 juillet 1951 à Lyon et vit désormais en Bourgogne, près de Cluny. Il se consacre à l’écriture de textes courts, d’aphorismes, de récits et de poèmes. Ses parutions les plus récentes : Une saison avec Dieu (éditions Le Pont au Change, 2019), Journal d'un mégalo (éditions Cactus Inébranlable, 2018), Billets d’absence (éditions Le Pont du Change, 2015),Le mouton noir (éditions Passage d’encres, 2014), Courts métrages (éditions Le Pont du Change, 2013).